Je souhaitais finir ce beau séjour en Inde en passant par Varanasi, l'une des plus vieilles villes du monde, berceau de l'Hindouisme. Nous avons donc quitté le groupe avec lequel nous avions vécu pendant deux semaines et avons pris un vol intérieur. Comment dire … Varanasi c'est un concentré d'Inde traditionnelle. C'est puissant, c'est prenant, c'est saisissant et, évidemment, on en revient pas indemne. Pour tout dire, nous étions presque contents de partir après deux jours pleins sur place car c'était presque devenu oppressant. Le lieu est mystique, de jour comme de nuit. J'avais trouvé un Guest House au bord du Gange, au deuxième étage avec une vue imprenable à droite comme à gauche; devant, la plage, endroit privilégié des indiens le week-end.
A Varanasi, tout est concentré; les rues sont étroites, voire très étroites, à tel point que le taxi nous a déposé à un carrefour bondé de piétons, rickshaw, tuk-tuk, charrettes et vaches sacrées, et nous avons terminé à pied. Heureusement, deux personnes du Guest House étaient venues à notre rencontre. C'était un samedi à 16h, heure d'affluence. Il faisait aisément 38°C au soleil … et c'est donc avec un certain plaisir que nous avons posé notre cul sur les deux fauteuils en osier du balcon de notre chambre colorée, juste pour se poser un peu avant de repartir s'imprégner de l'ambiance. La sensation à cet instant était magique; nous sentions l'agitation des berges 30m plus bas et nous étions comme irrésistiblement attirés.
Se retrouver sur les Ghâts, les escaliers qui bordent le Gange tout le long de la berge nord , c'est vraiment très spécial; quelque chose d'unique. On sent d'entrée que nous ne sommes pas n'importe où. Nous croisons les premiers sâdhus : c'est une chose de les voir en photo ou dans un reportage télévisé, s'en est une autre de se retrouver en face d'eux. Ces types sont d'un autre monde, assurément, et il émane d'eux un quelque chose d'irrationnel. Un tel degré de spiritualité et de délaissement du monde matériel force le respect et interpelle forcément notre for intérieur. Nous restons tous les deux silencieux, partageons un regard à la fois incrédule et émerveillé et poursuivons notre chemin. Des enfants jouent au cricket (le sport national) sur des terrains improvisés ici et là, ou se baignent pour s'amuser dans l'eau sacrée; des hommes et des femmes s'y lavent et se purifient alors même que Mark Twain disait déjà à son époque qu' "un microbe digne de ce nom n'y survivrait pas ! " Une telle force de l'esprit sur le corps a quelque chose d'irréel.
Puis, nous arrivons un peu avant l'heure de la cérémonie Ganga Aarti qui célèbre la déesse du Gange, mère de tous les indiens, et qui se déroule tous les jours au lever et au coucher du soleil. Il y a déjà foule pour assister à cette cérémonie qui ne peut être effectuée que par les jeunes membres de la caste des brahmanes (la 1ère caste, celle des prêtres). Pendant le rituel, où la fumée, le feu et l'eau sont les protagonistes, on entend les chants des brahmanes résonner au rythme des cloches et des tambours; puis ils brûlent le bois de santal et commencent à repartir les offrandes qui sont destinées au Gange sacré. C'est un moment de communions pour les hindous, empli d'un côté mystique. Pour les personnes qui assistent, c'est l'occasion d'offrir au Gange une bougie placée à l'intérieur d'une corbeille. L'ambiance est vraiment unique, accentuée par la densité de la foule, aussi bien sur le parvis que sur les barques qui se sont agglutinées par dizaines au pied du podium où ce déroule le cérémonial, tels des insectes attirés par la lumière.
Nous nous couchons encore emprunts par ce que nous avons vu, mais je me lève à 4h15 pour prendre une barque afin assister à la cérémonie du matin au lever du soleil, sous le regard de Shiva (troisième divinité de la Trimourti hindou, après Brahma et Vishnu), dieu de la destruction mais également de la reproduction, celui qui permet la renaissance au travers de la réincarnation. Il fait nuit noir; les puissants lampadaires qui longent la berge et quelques brasiers des buchers de crémation qui fonctionnent en continu créent une ambiance mystérieuse dans laquelle la barque glisse sans bruit. Quelques hommes et femmes sont déjà à l'œuvre dans le Gange pour la toilette ou la purification du matin alors que je vois parfois de drôles de choses flotter à la surface … ce contraste me semble surréaliste mais je comprends à cet instant que l'hindouisme est résolument un art de vivre encré bien profond en chacun des hindous. La lumière du lever de soleil est tamisée par une sorte de voile, mélange de fumées et de brume matinale , donnant au lieu une ambiance très particulière. Après la cérémonie nous reprenons la barque et revenons vers notre point de départ. Sur les berges, la vie est apparue au grand jour. Des fidèles arrivent au temple (il y en a environ 10.000 rien qu'à Varanasi, allant de la plus simple stèle à une belle bâtisse), des hommes et des femmes se baignent, d'autres font une grande lessive; les barques à rame et à moteur sont de plus en plus nombreuses sur le Gange. Il est 7h du matin et les bords du Gange sont déjà bien vivants.
Après le petit déjeuner, nous tentons de découvrir la ville. Nous passons par Manikarnika Ghat, l'endroit le plus connu de Varanasi pour les crémations. Il y règne une atmosphère indescriptible mais néanmoins tout est parfaitement organisés. Pour les hindous mourir c'est se libérer de l'état où nous sommes actuellement pour passer à un état meilleur. De ce fait, le sens de la mort est peu dramatique pour eux. Pour ceux qui peuvent se le permettre (le bois coûte cher) le summum est d'être incinérés au bord du Gange afin que leurs cendres se mêlent à l'eau du fleuve sacré. Cela permet d'arrêter le cycle des réincarnations et d'accéder au Moksha, libération finale de l'âme individuel, équivalent du nirvana pour les bouddhistes. Loin de constituer un tabou, la vie et la mort s'entremêlent donc étroitement tout au long de l'existence. Sans destruction, il ne saurait y avoir de création. La mort est donc omniprésente dans le quotidien de tous les hindous. On est bien dans un autre monde !
Nous poussons ensuite dans d'autres ruelles étroites. Nous sommes dimanche et c'est jour de célébration. Des queues immenses afin d'accéder au temple sillonnent les ruelles. Il y a un monde fou à tel point que nous nous retrouvons tout simplement bloqués à plusieurs reprises, à ne plus pouvoir avancer ni reculer. Pas de panique, il suffit d'attendre que ça se débloque. Nous arrivons à notre Guest House, comme saoulés par cette effervescence et la chaleur, pour déjeuner au restaurant situé sur le toit. Nous ne ressortons qu'en deuxième partie d'après-midi, une fois que la température ait commencé à diminuer puis nous reprenons une barque afin de profiter de l'ambiance et de la vue depuis le Gange. Moment paisible et agréable, avant d'aller assister au début de Ganga aarti au Dr Rajendra Prasad Ghat depuis le Gange.
Le lendemain nous nous promenons dans le marché et quelques rues en attendant l'heure du départ pour retourner à l'aéroport où nous allons enchainer 3 vols entre Varanasi, New Delhi, Francfort et Paris.
Bien que nous soyons contents de rentrer retrouver nos (grands) enfants, autant dire que le retour au quotidien est un peu compliqué car nous nous sentons à la fois nostalgiques et déphasés. L'Inde n'est clairement pas un voyage comme les autres. C'est avant tout une aventure humaine à la découverte des autres mais également à l'intérieur de soi.